Œuvre

A-PHAN-OUSIA

Légende

4’45, 2008, Video HD, Courtesy de l’artiste

Artiste

Par

Texte

Conversation avec Maya

A-phan-ousia ? C’est un concept de ton invention ? Oui, a-phan-ousia est un mot grec que j’ai façonné. Ce qu’il signifie : a – préfixe négatif : non, sans ; pha (n)parler (apparaître, montrer) ; ousiaessence, substance. pha signifiant parole et phan apparaître, montrer. La juxtaposition de deux idées en produit une troisième (comme le montage chez Eisenstein ou les idéogrammes japonais), tout en gardant un sens ouvert. J’entends par là qu’elle ne définit ou ne détermine pas un sens précis. Il y a un poème dans le métro londonien qui a toujours attiré mon attention. Je ne sais pas dans quelle station il est affiché, mais le voilà : Stations – En revenant chez lui par la Ligne Nord, il réexamine son mariage. Quand il lui disait son amour c’était la stricte vérité : mais les mots  qui ne cessent pourtant d’accomplir une tâche utile et cérémonielle, ont aujourd’hui perdu de leur résonance – comme Barons Court, St John’s Wood ou le splendide Shepherd’s Bush. (Connie Bensley).  Ce poème rappelle que l’expression d’un sentiment peut, avec le temps, prendre la banalité d’un nom de station de métro. Comment se fait-il que des mots puissent brusquement se trouver dénués de tout contenu émotionnel et perdre leur résonance ?

Un extrait de film connu a cette résonance, mais a-t-il un sens pour nous, au-delà de la référence culturelle ? Pourrions-nous évoquer de nouvelles images et produire un troisième sens en associant des dialogues extraits de films différents à une nouvelle représentation ? L’actrice de la vidéo semble résister à l’expression de tout sentiment, son rôle consiste à tout aplanir dans une énonciation presque impersonnelle. En effet, son hiératisme vise à libérer la bande son de ses origines, de sa charge émotionnelle, afin que l’on puisse percevoir cette actrice comme possesseur, incarnation, de différentes voix. Pour faire sentir qu’un personnage n’est jamais aussi déterminé qu’on le suppose conventionnellement et que son identité reste en flux. Est-il possible de dissoudre les limites qui esquissent son caractère, le rendre amorphe et indistinguable sans toutefois perdre son identité individuelle ? Oui. Non. Le silence est-il une manière de résister au pouvoir objectivant du langage ? Le silence structure le langage comme l’espace vide qui entoure une sculpture la définit. Cette vidéo traite aussi de la terreur de la détermination – de l’objectivation, comme tu le dis – par le langage, mais non pour le révoquer, pour le saisir désespérément.

Traduit du français par Martin Richet