Œuvre

Un morceau de cheddar sosie du Mont Rushmore fondu à tranche parfaitement plate et carrée

Légende

Courtesy of Antoine Lévi Gallery, Paris and Galería Maisterravalbuena (Madrid)

Artiste

Par

Texte

Une errance imaginée dans une exposition que je n’ai vu qu’en images :

 

1646, La Hague

D.J. accepte la proposition d’exposition personnelle venue d’un lieu d’artiste. Il s’est fait une idée claire de sa forme avant même que n’arrive l’invitation. Il y a des œuvres éparpillées dans son studio qui ont toujours eu l’air d’appartenir ensemble ; le contexte d’une exposition peut servir à renforcer ou remettre en question ces connexions. De même, quelques idées le hantent depuis un moment, idées bien articulées en conversation, mais jamais physiquement matérialisées jusque là. Il a toujours beaucoup pensé aux produits et objets versatiles en terme de matériau sculptural. Patates et serviettes, par exemple… C’est qu’on peut en faire, des choses, avec des serviettes, pense D.J. : s’allonger dessus, se sécher, couvrir ou nettoyer d’autres choses, réserver une place, empêcher l’entrée de gaz nocifs, tenir des choses chaudes. Quant aux patates : globalement, elles ont autant de variétés que de formes et d’usages. L’enjeu ce n’est pas tant d’explorer de nouvelles façons de se servir d’un objet quotidien qui nous est familier que de souligner sa malléabilité, sa capacité à éprouver un processus de transformation et de manipulation qui lui confère un sens nouveau.

Comment résoudre provisoirement la solution provisoire

D.J. repense à un ancien tutoriel, intégré à un logiciel de modélisation en 3D : la création d’un cube selon la technique de l’origami, un plan carré se trouvant plié comme un morceau de papier. La vidéo, à la fin, annonce que le même cube aurait été obtenu en cliquant sur le bouton « Ajouter un cube ». De quelque manière qu’il soit crée, le cube est identique, mais l’observation du processus invite à envisager le potentiel sculptural d’une forme géométrique fondamentale.

Comparer A et non A

D.J. se doute de ce que, dans l’espace, ses idées et pensées initiales seraient vouées à changer, à se transformer. L’espace lui-même présente des éléments intéressants, se dit-il. La vitrine, par exemple. Il y a quelque chose d’attirant dans une vitrine. On dirait que la galerie s’ouvre sur la rue, qu’elle embrasse son environnement. Elle a un pouvoir magique : transformer le passant en visiteur. Elle procure autant de plaisir que de malaise à ceux qui regardent et à ceux qui sont regardés. D.J. pense se servir de la vitrine pour un travail textuel visible du dedans comme du dehors. Guidé par son intérêt pour les modes de production du sens, il rassemble des locutions qui opposent deux termes conventionnellement incomparables (« like apples and oranges »). Un choix de mots extraits de ces locutions est accroché à la fenêtre, recombiné de façon à pouvoir produire de nouvelles associations qui quoique arbitraires auront peut-être un jour un sens.

Série des Serviettes Sculptures

Les hauts plafonds de l’espace accueillent l’analogie serviettes-nuages. D.J. est enclin à élever les serviettes au plus près du plafond pour guider la vue hors de la pièce principale. Initialement enduites de colle et placées sur divers objets dans la galerie, les serviettes sont susceptibles de prendre de nouvelles formes, indépendantes de toute référence immédiate. Ces serviettes sont tout ce que nous pouvons y projeter, signifient tout ce que nous pouvons tirer de leurs formes abstraites.

Halle Berry,Moneypenny, Halle Berry (Flat, Flabby, Flat)

Passé l’escalier, à droite, D.J. aime l’intimité de la petite pièce du fond. Il a envie de la remplir d’une pièce audio, une chanson plate et linéaire dont les paroles changent légèrement jusqu’à former un seul vers abstrait : « and the hockey player runs a big galley, and the Holy Mary makes a fin jelly, and Homey Manney is a fun jetty, and hurried Benny scores a fine tally… »

 

Traduit de l’anglais par Martin Richet